Littérature-Journal l’événement
Posté par khalfi1 le 22 novembre 2011
Télévision et littérature : meilleurs ennemis du monde. La première est synonyme de divertissement voire de paresse quand la seconde est vecteur d’érudition et de savoir. L’antagonisme paraît irréductible. Pourtant, la littérature fait de la résistance et s’invite sur les plateaux de télévision ; mais à quel prix ? Quel traitement la télévision accorde-t-elle à la littérature ?
Personne n’a oublié que c’est Bernard Pivot qui a donné aux émissions littéraires leurs lettres de noblesse. En vingt et un ans se succéderont ‘Apostrophe’ puis ‘Bouillon de culture’, véritable messe du vendredi soir. Si l’on en croit Frédéric Beigbeder, le succès des émissions de Pivot tenait en la personnalité du présentateur : “Il aimait les écrivains. (…) Les gens achetaient les livres des auteurs invités chez Pivot parce que son regard pétillant parvenait à transmettre son plaisir de lecteur.” (1) D’ailleurs depuis le départ en retraite de l’inventeur des ‘Dicos d’or’, la donne a semble-t-il changé.
Début de nuit ou chaîne à l’audience confidentielle ?
Les émissions littéraires n’ont pas complètement disparu. Mais force est de constater qu’elles n’ont pas l’exposition qu’elles avaient au temps de Pivot. Elles doivent même se résoudre à une alternative des plus défavorables : être sur une grande chaîne au début de la nuit, à l’heure où se réunissent insomniaques et corps fatigués devant l’émission de Julien Courbet ou bien être programmé durant la journée mais sur une chaîne à l’audience plus confidentielle. Ainsi ‘Vol de nuit’, programmé à 1h sur TF1 réunit autant de spectateurs – à savoir autour de 500.000 – que ‘Le Bateau livre’ sur France 5, pourtant programmé à 11h… Un programme échappe à la règle : ‘Un livre, un jour’, qui réunit en moyenne près de 2 millions de spectateurs à 18h sur France 3. La différence, c’est qu’il ne s’agit que d’une séquence de 60 secondes, entre ‘C’est pas sorcier’ et ‘Questions pour un champion’… Il n’est pas sûr que les 2 millions de spectateurs aient sciemment choisi le programme proposé.
La littérature n’étant plus aussi vendeuse aux yeux des producteurs de télévision, elle s’est invitée dans des émissions aux thématiques plus larges : c’est le concept de l’émission culturelle. Et il faut bien avouer qu’il est apprécié à en juger par la première saison très encourageante de ‘Ce soir ou jamais’, présentée par Frédéric Taddéï, qui rassemble en moyenne 1,3 million d’aficionados.
Ruquier : le passage obligé
Mais c’est surtout dans les émissions de divertissement que l’on parle le plus du livre, ou plutôt du “bouquin” puisqu’il est le seul vocable utilisé quand l’audience est la plus forte. Laurent Ruquier et sa bande de chroniqueurs réunissent en leur nom pas moins de 3,5 millions de téléspectateurs. Inutile de demander où il faut aller quand on veut vendre un livre… Le problème réside donc dans l’intérêt de la présence de la littérature à la télévision : va-t-on à la télévision pour vendre un produit, ou y va-t-on pour parler tout simplement de littérature ? Il semblerait que la promotion soit devenue le nerf de la guerre. On peut éventuellement parler de l’histoire, mais surtout pas de style, d’influence ou même de notre héritage, palabres qui pourraient faire fondre les précieuses parts de marché qui décident à elles seules des revenus publicitaires de la chaîne et donc des émissions.
Quand un écrivain se déplace à la télévision, il doit bien présenter, savoir répondre sur tous les sujets, y compris l’actualité surtout quand elle est lourde, avoir de la repartie et si possible un sens inné de la provocation. Sans quoi l’accès au plateau lui sera interdit. Il faut donc trouver de bons clients. Ils sont rares. Et il faut les préserver. Voilà pourquoi les invités enchaînent plateaux sur plateaux, donnant l’impression de déjà-vu dès que l’on zappe d’une émission à une autre. En contrepartie, leur livre recevra l’éclairage nécessaire à leur succès. Pendant longtemps, passer dans l’émission ‘Tout le monde en parle’, présentée par Thierry Ardisson garantissait aux écrivains courageux, capables de supporter 4 heures de tournage, de passer les 100.000 exemplaires. Aujourd’hui, c’est la quotidienne de Ruquier qui tient ce rôle. Mais il ne faudrait pas croire que les animateurs-producteurs prennent un risque démesuré : il n’y a guère qu’un livre présenté au milieu d’une multitude d’autres sujets, comme le rappelait avec lucidité Laurent Ruquier lui-même : “Nous nous en sortons grâce au mélange des genres. Si nous recevions trois auteurs de suite, nous tomberions comme Guillaume Durand et les autres en dessous de 10 %, voire de 5 % de part de marché.” (2)
Manger un fruit pourri pour donner de l’épaisseur
Finalement ce n’est pas la télévision qui est au service de la littérature mais bien la littérature qui est au service de la télévision. L’image domine sur le texte. Ce qui explique par exemple que de plus en plus d’éditeurs placent la tête des écrivains sur la couverture des livres. Albin Michel en a fait une spécialité et il n’est pas un nouvel opus d’Amélie Nothomb qui ne fasse apparaître sur la couverture le visage de sa très lucrative représentante. Comme une vitrine. Et une fois que l’image est connue, marketée, elle est prête à être consommée. Pour lui donner un semblant d’épaisseur, on demande aux écrivains une touche d’originalité, comme celle de manger un fruit pourri devant la caméra, ou encore celle de céder à la tentation de la confession. Plus l’image est sulfureuse ou pathétique, plus elle est porteuse.
La preuve en est de l’apogée de l’autobiographie, très en vogue dans les émissions de Ruquier ou de Fogiel. Traiter l’autobiographie permet d’inviter un people sans avoir l’air de le faire. La liste des invités s’allonge et l’on recherche les vrais écrivains… Les audiences télévisuelles ne sont elles pas en reste, les confidences de François Berléand ou de Patrick Sébastien étant beaucoup plus attractives que les écrivains de l’ombre… télévisuelle !
Littérature et politique dans la promiscuité
Finalement, l’écrivain qui veut exister passe presque autant de temps en représentation télévisuelle qu’en écriture, l’ancien fonds de son commerce. Le Clézio, interrogé par Franz-Olivier Giesbert dans la dernière émission de la saison 2007 expliquait que le problème n’était pas que les écrivains passaient à la télévision, mais qu’ils y consacraient plus de temps qu’à écrire leur manuscrit.
Il n’est donc plus question d’écriture mais d’interview. Le temps consacré à expliquer sa vie et son livre prime sur le contenu de l’ouvrage. Et plus l’invité est populaire et connu, plus il fait grimper les audiences et les ventes. C’est en partie la raison pour laquelle la télévision a tendance à assimiler livre et politique. Certes, en cette année de campagne présidentielle, il n’y a rien d’étonnant à cela. Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin n’ont ainsi raté aucune occasion pour vendre ‘La Femme fatale’, Le livre qui révélait que François Hollande et Ségolène Royal n’étaient plus un couple : ‘Le Grand Journal’ de Canal +, ‘On a tout essayé’ et ‘On n’est pas couché’ sur France 2, ‘T’empêches tout le monde de dormir’ sur M6, ‘Chez FOG’ sur France 5… Sans compter toutes les apparitions déguisées comme dans ‘C dans l’air’. Preuve s’il en fallait que la politique se vend bien. Mais l’on aurait tort de croire que cette année d’élection fait exception : en 2007 Franz-Olivier Giesbert, dans son émission hebdomadaire modestement appelée ‘Chez FOG’, et dont l’hymne est “l’émission qui met l’écran au service de l’écrit”, a réuni 18 politiques sur les 22 écrivains qu’il a invités. En 2006, c’étaient 15 politiques… sur 15 ! La confusion des genres n’est pas loin.
Le concept moderne de l’écrivain polyvalent
Confusion des genres aussi autour de Frédéric Beigbeder. C’est avant tout en sortant ‘99 francs’ qu’il s’est invité sur la scène médiatique. Aujourd’hui tour à tour homme de télé, écrivain, critique littéraire, directeur de collection, il est celui qui a le mieux profité de l’interconnexion entre littérature et petit écran. Au point même de déranger, les écrivains comme les professionnels de la télé. Pour autant, son intronisation dans le milieu télévisuel lui enlève-t-elle son étiquette d’écrivain ? Et si l’écrivain moderne était un écrivain polyvalent ?
Le cas Beigbeder reste néanmoins une exception. Et les écrivains, même s’ils sont des habitués des plateaux télé, sont avant tout des hommes de lettres, dont la passion pour l’écriture prime sur le reste. Et en cherchant bien, on finit par en retrouver la trace : ‘Le Bateau livre’, ‘Vol de nuit’, ‘Tropismes’, ‘Café Picouly’, ‘Les Livres de la 8’, ‘Bibliothèque Médicis’ pour ne citer qu’elles. Finalement, rares sont les espaces où la promotion n’est pas seule à être mise en avant. Et encore plus rares sont celles qui parlent de la littérature en général, et des écrivains du passé, notre panthéon littéraire. Maupassant a récemment été au coeur d’une série de soirée en prime time sur France 2, en s’offrant le luxe d’arriver en tête des audiences. Mais seulement parce que Maupassant y était revisité par de grands réalisateurs et une pléiade d’acteurs de renom. La littérature, celle de Molière, Flaubert et Stendhal n’a donc qu’un seul espace à la télévision : celui de la fiction. Le temps des grands débats littéraires et des discussions sur le style est apparemment révolu. Reste Internet où l’on prend encore le temps de se lamenter de cette désertion de la littérature à la télévision…
(1) Cité dans Lire, mai 2004.
(2) Cité dans Livre hebdo, numéro 682, mars 2007.
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