Malcolm de Chazal, le magicien mauricien

Posté par khalfi1 le 12 novembre 2011

 

Disparu il y a trente ans, le grand auteur de l’île Maurice est parfois réduit à ses aphorismes, alors qu’il a tout expérimenté : poésie, théâtre, essais mystiques, et même peinture.

Jamais le poète n’est plus vivant que quand il est mort »… Cette phrase écrite en 1954 par l’artiste intégral mauricien Malcolm de Chazal (1902-1981) dans un vibrant hommage à un ami poète décédé s’applique aujourd’hui à sa propre personne. Trente ans après son décès, l’île Maurice rend hommage à travers une Année Malcolm de Chazal à celui que Jean Paulhan et plusieurs surréalistes qualifièrent de génie lors de la sortie en 1948 du recueil d’aphorismes Sens-plastique (Gallimard). Les fulgurances que recelait ce livre révélaient alors un regard neuf, fait de correspondances à la fois étranges et saisissantes sur la vie, le monde, l’amour, la foi, la nature, Dieu, l’univers… Ces mêmes « expériences à l’état brut » – l’expression est de Jean Paulhan – appréciées pour leur force et acuité et qui le firent admirer par beaucoup allaient paradoxalement l’enfermer pour longtemps dans un carcan !

Pour beaucoup, en Europe surtout, Malcolm de Chazal est aujourd’hui encore un simple concepteur d’aphorismes et, pour une petite élite, un peintre. Il suffit de taper son nom sur Internet pour avoir en réponse plusieurs centaines de pensées étalées sur divers portails, présentées tantôt comme proverbes et tantôt comme « pensée du jour »… Cette approche réductrice provient probablement du fait qu’après les deux ouvrages publiés chez Gallimard à la fin des années 1940, il a fallu attendre vingt ans avant que des éditeurs parisiens ne lui ouvrent de nouveau leurs portes. Ce fut le cas avec Jean-Jacques Pauvert qui publia Poèmes en 1968, puis L’Homme et la Connaissance en 1974, mais il était trop tard pour que Chazal puisse faire connaître le riche parcours créatif effectué depuis 1949. Encore eût-il fallu qu’il souhaitât le faire ! De toute façon, il avait déjà définitivement renoncé à l’écriture d’aphorismes, qui ne fut son médium d’expression que de 1940 à 1948.

Avant de se lancer dans les aphorismes, Malcolm de Chazal avait écrit de 1935 à 1940 quatre essais d’économie politique inspirés par ses premières expériences professionnelles. Car, ingénieur en technologie sucrière formé à Baton Rouge en Louisiane de 1918 et 1925, il avait tenté, de retour à Maurice, de travailler pour les industries d’abord du sucre, puis du textile à base d’aloès, des expériences finalement malheureuses face à un patronat qu’il jugeait égoïste et détestable. Comme il le dit lui-même dans Autobiographie spirituelle (publié de façon posthume en 2008), « je lâchai tout – le diplôme d’ingénieur aux orties » pour devenir un petit fonctionnaire au département gérant alors l’électricité et le téléphone… Vint ensuite la période des aphorismes dont il a été question.

Après La Vie filtrée en 1949, d’autres aventures créatrices l’attendaient, et celles-là ne sont guère connues du lectorat hors de Maurice – voire des Mauriciens eux-mêmes ! – car ces oeuvres n’ont été publiées qu’à 100 exemplaires, à compte d’auteur, dans une petite imprimerie de Port-Louis. De 1950 à 1954, Malcolm de Chazal écrit quinze pièces de théâtre dont plusieurs portent sur des sujets bibliques. Une seule de celles-ci, Judas, sera jouée de son vivant, en 1960. Il cessa en 1954 d’avoir recours au théâtre, qui avait été pour lui cette parole en trois dimensions qu’il recherchait pour donner plus d’ampleur à son message. En effet, dès 1950, des préoccupations nouvelles liées à la foi et à Dieu l’habitent et prennent progressivement possession de son énergie créatrice. De 1950 à 1956, Malcolm de Chazal rédigera et publiera vingt-neuf essais métaphysiques de haut niveau, le tout également publié à 100 exemplaires, à compte d’auteur et par la même petite imprimerie de la capitale. Le rythme de parution de ces ouvrages montre bien la fébrilité de l’auteur : quatre en 1950, six en 1951, onze en 1952, six en 1953… Il publie entre autres des réflexions philosophiques sur des sujets de spiritualité et ces ouvrages, fortement imprégnés par la mystique ésotérique de Swedenborg – dans laquelle Malcolm a été élevé -, s’intitulent : La Pierre philosophale, La Clef du cosmos, Mythologie de Crève-Coeur, La Grande Révélation, Le Livre de conscience, Le Livre des principes, L’Évangile de l’eau… Cette même période verra en 1951 la sortie de Petrusmok. Mythe, ouvrage par lequel Malcolm de Chazal revisite son île, la recrée en un univers de féerie digne de cette Lémurie engloutie dont Maurice ne serait qu’un des pics émergés et dont les montagnes auraient été sculptées par des géants lémuriens jusqu’à en faire des supports de légendes gravées dans le basalte…

L’admiration de Senghor

Malcolm de Chazal se mit à la peinture précisément en juin 1958, créant petit à petit cette métapeinture si rejetée par ses compatriotes qu’il fit brûler 147 toiles sur une plage en 1974… Ce qui ne l’empêcha pas de réaliser des milliers de tableaux étonnamment colorés et vivants, ni d’exposer çà et là à travers le monde, de Milan à Dakar et de San Francisco à Paris. Ce nouveau médium d’expression est une autre écriture choisie par Chazal dans sa recherche de moyens efficaces pour faire entendre son message. Vinrent ensuite les poèmes ( Sens magique en 1957, Apparadoxes en 1958…) suivis de synthèses philosophiques ( L’Homme et la Connaissance et Sens-unique, 1974)… Un des éminents admirateurs de l’oeuvre chazalienne – peinture et écriture comprises – a été le poète-président sénégalais Léopold Sédar Senghor. Lorsque celui-ci découvrit l’oeuvre de Malcolm de Chazal, sa réaction fut immédiate : cette écriture poétique ne pouvait être comparée qu’à « un geyser de sève, un torrent de laves, une brousse de métaphores ». Puis vint la découverte de la peinture de Chazal, une peinture qui, selon les mots mêmes de Senghor, fait de lui « malgré son sang et les apparences [...] un des peintres africains les plus authentiques ». Enfin se produisit la rencontre sur la plage du Morne dans le sud-ouest de Maurice en 1973, rencontre que Senghor relate comme suit : « Je lui dis : « La première fois que j’ai lu Sens-plastique, votre chef-d’oeuvre, j’ai cru que vous aviez du sang noir. » Et lui, souriant, de me répondre : « Rien ne pouvait me faire autant plaisir. L’Art s’est réfugié, est revenu à ses sources : en Afrique et en Inde. » »

L’oeuvre de Malcolm de Chazal dépasse donc amplement la veine aphoristique à laquelle on avait pu le réduire en Europe. Et elle est encore plus vaste si l’on ajoute les quelque 980 chroniques de presse publiées entre 1948 et 1978, dans lesquelles Malcolm de Chazal livrait ses réflexions et analyses sur tous sujets dans deux quotidiens mauriciens et par lesquelles il affirmait sa présence indispensable dans le paysage culturel local.

Le public mauricien découvrit seulement en juillet 2011 la diversité du théâtre de Malcolm de Chazal à travers deux pièces datant de 1954 et que la Fondation Malcolm de Chazal a produites dans le cadre du premier Festival du théâtre chazalien. Ces deux pièces parlent d’amour, la première – Les Désamorantes – de l’amour entre les êtres, et la seconde – Le Concile des poètes – de l’amour comme ferment de l’harmonie universelle. Et l’on découvre que le langage de Chazal est neuf et qu’il apporte à cette thématique, que l’on aurait pu penser épuisée, des dimensions nouvelles et originales dans une approche scénique résolument contemporaine. De même, les inédits publiés au cours de cette Année Malcolm de Chazal démontrent que des facettes nouvelles de cet artiste sont à découvrir : un recueil de contes tel Histoires étranges, suivi de Fabliaux de colloques magiques publié chez Arma Artis début 2011, un recueil de poèmes, Humour rose, et bien d’autres contes encore à paraître avant la fin de l’année.

Dès ses débuts en écriture et jusqu’à ses toutes dernières oeuvres, Malcolm de Chazal avait une expression fétiche : « au-delà de ». Ainsi fallait-il aimer, vivre, écrire, peindre, lire, s’exprimer… au-delà de soi-même ! Ce message d’indispensable dépassement résume pleinement la volonté de Malcolm de Chazal en tant qu’artiste intégral, profession de foi qu’il définissait dès le 14 octobre 1961 dans une chronique intitulée « Pourquoi écrire ? » dans le journal local Le Mauricien : « Pourquoi écrire ? Eh bien, parce qu’il faut que l’arbre donne ses fruits, que le soleil luise, que la colombe s’accouple à la colombe, que l’eau se donne à la mer, et que la terre donne ses richesses aux racines de l’arbre. Pourquoi écrire ? Mais afin de se donner. Et le don enrichit. Cette « richesse » grandit la personnalité. Et l’on monte. Où ? En soi-même. J’ai nommé la délivrance. Il n’y a pas d’autre forme de libération. »

Par Robert Furlong

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