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La prise d’Alexandrie

Posté par khalfi1 le 18 août 2011


 

La chronique livres de Bernard Pivot

 

 

  La prise d’Alexandrie par Françoise Chandernagor

Cléopâtre eut quatre enfants. L’aîné, de César, appelé Césarion. Les trois autres de Marc Antoine: des jumeaux, Hélios, blond comme Soleil, et Séléné, nocturne comme Lune, enfin un dernier, souffreteux, Ptolémée. Très jeunes, ils sont victimes de l’implacable cruauté de l’Histoire. Sauf Séléné. Survivante, acharnée à défendre la mémoire de sa lignée et à venger ses frères, elle sera « la reine oubliée« .

C’est sous ce titre que Françoise Chandernagor raconte, en trois volumes, son extraordinaire odyssée. Voici le premier volume, Les Enfants d’Alexandrie, qui commence dans le bonheur, la félicité, et qui, au fil des défaites de Marc Antoine face à l’impitoyable Octave, son beau-frère romain, finit par la chute d’Alexandrie et le suicide de Cléopâtre et de son époux bien-aimé.

Le roman historique souffre d’un handicap: on connaît l’histoire. On sait, surtout avec Cléopâtre et Marc Antoine, comment ça se termine. Alors comment retenir le lecteur ? Par mille petits faits et détails qu’il ignore, par le portrait fouillé et l’évolution psychologique des personnages, par la description, aux charmes fatalement exotiques, des lieux, des coutumes, des seconds rôles, enfin et surtout par le verbe et la verve de l’écrivain. Dans tous ces exercices, Françoise Chandernagor – première femme, rappelons-le, sortie « major » de l’ENA –, est toujours la première de la classe. Sa conquête de l’Égypte est une réussite à la fois savante et populaire.

Par exemple, on est sidéré par sa connaissance de la blanche Alexandrie, la « Très Brillante », alors la plus grande ville du monde, plus peuplée que Rome et Athènes. Pendant qu’elle écrivait ce livre, Françoise Chandernagor voyageait probablement plus dans Alexandrie, du port aux innombrables palais, de la bibliothèque aux temples, que dans son département de la Creuse. Quand la cartographie était imprécise ou controversée, elle prenait un parti ou inventait ce qui lui paraissait le plus vraisemblable. Avec l’Histoire, elle agit de même. « Est-ce à dire que j’invente? Oui. Que je viole l’Histoire? Non. Je la respecte. Religieusement. Dès que l’Histoire parle, je me tais. Mais quand elle est muette? […] J’occupe les vides, je me faufile dans les interstices. Je lui demande de me faire une petite place… »

C’est avec le langage que Françoise Chandernagor prend le plus de liberté. Heureusement. À quelles ridicules contorsions n’aurait-elle pas dû se plier pour retrouver une irretrouvable manière de parler des princes, des femmes, des soldats, des enfants de l’époque? Le travail d’écriture restituée de L’Allée du roi ou de L’Enfant des Lumières est ici impossible. Aussi a-t-elle choisi un langage moderne, ce qui fera peut-être hurler d’indignation les puristes mais qui donnera bien du plaisir aux lecteurs qui attendent de la romancière qu’elle les introduise avec le plus d’efficacité dans les secrets des cœurs et les méandres de l’Histoire. Ainsi n’hésite-t-elle pas à dire de Cléopâtre et de Marc Antoine qu’ils ont envie de « baiser ». Reste que sur la sexualité des Romains Françoise Chandernagor est une rigoureuse historienne. De même sur la décapitation, l’égorgement, les différentes formes de suicide, la momification. De même encore sur la nourriture, les vins, l’habillement, l’éducation des enfants, les pèlerinages, les croyances, les superstitions, les batailles sur terre ou sur mer…

En dehors de Séléné et de ses trois frères, le personnage principal de ce premier volume est Marc Antoine, pour qui Françoise Chandernagor a les yeux de Cléopâtre. Il était beau, d’une bravoure inouïe, fin stratège, et pendant dix ans, il a été maître du plus vaste empire d’Orient depuis Alexandre le Grand. Il savait être bon et généreux. Un peu crédule aussi, trahi par beaucoup, sauf par la fidèle Cléopâtre, « un homme du premier mouvement, de l’instinct, de l’élan« , ce qui l’a perdu. C’était un personnage shakespearien qui, à la fin, alterna les crises de mélancolie et les combats désespérés pour l’honneur où il recherchait la mort.
Séléné a 10 ans. Orpheline, prisonnière d’Octave, elle quitte Alexandrie…

Les Enfants d’Alexandrie, de Françoise Chandernagor, Albin Michel, 391 p., 22 euros.

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