Amin Maalouf
Posté par khalfi1 le 11 décembre 2008
Un dernier mot tracé sur la dernière page, et déjà la côte africaine.
Blancs minarets de Gammarth, nobles débris de Carthage, c’est à leur ombre que me guette l’oubli, c’est vers eux que dérive ma vie après tant de naufrages. Le sac de Rome après le châtiment du Caire, le feu de Tombouctou après la chute de Grenade : est-ce le malheur qui m’appelle, ou bien est-ce moi qui appelle le malheur ?
Une fois de plus, mon fils, je suis porté par cette mer, témoin de mes errement et qui à présent te convoie vers ton premier exil. A Rome, tu étais « le fils de l’africain » ; en Afrique, tu seras « le fils du Roumi ». Où que tu sois, certains voudront fouiller ta peau et tes prières. Garde-toi de flatter leurs instincts, mon fils, garde-toi de ployer sous la multitude ! Musulman, juif ou chrétien, ils devront te prendre comme tu es, ou te perdre. Lorsque l’esprit des hommes te paraîtra étroit, dis-toi que la terre de Dieu est vaste, et vastes Ses mains et Son coeur. N’hésite jamais à t’éloigner, au delà de toutes les mers, au delà de toutes les frontières, de toutes les patries, de toutes les croyances.
Quant à moi, j’ai atteint le but de mon périple. Quarante ans d’aventures ont alourdi mon pas et mon souffle. Je n’ai plus d’autre désir que de vivre, au milieu des miens, de longues journées paisibles. Et d’être, de tous ceux que j’aime, le premier à partir. Vers ce lieu ultime où nul n’est étranger à la face du Créateur.
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